51. Délices du feu et morsures du froid dans la France d’Ancien régime, avec Olivier Jandot

L’invité : Olivier Jandot, agrégé et docteur en histoire moderne, enseignant au lycée Gambetta-Carnot d’Arras et à l’Université d’Artois

Le livre : Les délices du feu. L’homme, le chaud et le froid à l’époque moderne, Champ Vallon, 2018.

La discussion : l’effort de contextualisation et d’imagination à produire pour comprendre les notations du passé concernant le froid et l’hiver ; le « grand hiver » de 1709 et les raisons de sa notoriété ; la nécessité de croiser les sources (médicales, du for privé) pour comprendre ce rapport au froid, et l’utilisation des sources iconographiques, en lien avec les travaux des médiévistes ; la vulnérabilité face au froid des sociétés anciennes, illustrée par la régularité des morts de froid ; l’absence d’isolation thermique de l’habitat ancien, compensée par des « espaces gigognes » ; la fracture géographique et culturelle entre cheminées et poêles ; la nécessité d’économiser le bois, et de se chauffer avec des combustibles de substitution ; un enjeu social qui s’aggrave avec une crise forestière perçue au XVIIIe siècle ; les instruments de chauffage portatifs ; la persistance de ce rapport au froid tard au XXe siècle, illustrée par la chanson « Bonhomme » de Georges Brassens (1958, extrait sonore) avec le bois mort, « chauffage du pauvre » ; un rapport à la chaleur socialement différencié mais qui touche aussi les puissants ; a chaleur humaine et animale comme solution face au froid ; l’évolution majeure décelable au XVIIIe siècle à partir notamment de la Mécanique du feu de Nicolas Gauger (1713) ; la circulation des savoirs (Benjamin Franklin) avec une prise en compte scientifique de la chaleur ; un discours critique sur la demande sociale de chaleur, lisible chez Rousseau par exemple.

Musique de générique : Henry Purcell (livret de John Dryden), King Arthur, 1691, interprété par le Deller Consort (Nigel Beavan, basse), acte III, « Air du froid »

COLD GENIUS
What power art thou, who from below
Hast made me rise unwillingly and slow
From beds of everlasting snow?
See’st thou not how stiff and wondrous old,
Far unfit to bear the bitter cold,
I can scarcely move or draw my breath?
Let me, let me freeze again to death.

Les conseils de lecture :
– André Bucher. Déneiger le ciel. Sabine Wespieser, 2007.
– Françoise Waquet, Histoire émotionnelle des savoirs, CNRS, 2019.

 

50. Sport et création artistique à l’époque soviétique, avec Julie Deschepper et Sylvain Dufraisse

Les invités : Julie Deschepper, doctorante à l’Inalco ; Sylvain Dufraisse, maître de conférences à l’Université de Nantes

L’exposition et le livre:

“Rouge. L’art au pays des soviets” (Grand Palais, jusqu’au 22juillet 2019)

Les héros du sport. Une histoire des champions soviétiques (années 1930 – années 1980), Champ Vallon, 2019.

La discussion : pourquoi il faut voir l’exposition « Rouge », d’une grande richesse en termes d’œuvres exposées, et de variété de formes artistiques (1’) ; un art qui ne se réduit pas à ses dimensions officielles ou « totalitaires » (3’) ; parmi ces œuvres, celles consacrées aux corps, allant de la biomécanique de Meyerhold à la promotion de la vigueur physique (5’) ; d’autres qui illustrent la violence stalinienne (7’10) ; la césure muséographique entre 1er niveau de l’exposition (années 1920) et second niveau (années 1930) à interroger (8’50) ; la complexité des années 1930 avec l’ouverture aux loisirs « modernes » comme le parachutisme (10’15) ; le concept moins simple qu’il n’y paraît de « réalisme socialiste » (13’40) ; certaines continuités entre les années 1920 et 1930 en matière de figuration et de représentation (18’40) ; l’accent bienvenu mis sur l’architecture et l’espace public dans l’exposition (21’) ; les reconfigurations de la ville socialiste dans un contexte de pénuries de logements (24’) ; les artistes et sportifs comme « promus » (Nicolas Werth) dans la société soviétique (27’15) ; le concept de kultur’nost ou de « civilisation » soviétique ; les contradictions du sport de compétition dans une société collectiviste (30’) ; la nécessité d’éviter une lecture trop monolithique du régime soviétique, pour comprendre les discussions ou compétitions entre organes (34’35) ; la façon dont l’URSS se construit au contact de l’étranger et de l’Ouest (avec le fait de quitter ou de rejoindre les fédérations sportives « bourgeoises » ou le CIO) (41’30) ; l’URSS qui attire des sportifs « marginaux » comme Jules Ladoumègue dans les années 1930 (43’) ; les problèmes que posent les voyages des sportifs soviétiques à l’étranger (46’) ; un retour critique sur l’idée de « stagnation » à l’ère brejnevienne (51’10), les conseils de lecture.

Les références citées dans l’émission :

« Rouge ! L’art au pays des soviets », documentaire d’Arte (A. Minard)
– Michael David-Fox, Showcasing the Great Experiment. Cultural Diplomacy and Western Visitors to the Soviet Union, 1921‑1941, Oxford University Press, 2012.
– Sabine Dullin, La frontière épaisse. Aux origines des politiques soviétiques (1920-1940), Paris, Éditions de l’EHESS, 2014.
– Marc Elie et Isabelle Ohayon, « L’expérience soviétique à son apogée », Cahiers du monde russe, 54/1-2, 2013.
– Emila Koustova, « Les fêtes révolutionnaires russes entre 1917 et 1920. Des pratiques multiples et une matrice commune », Cahiers du monde russe, 47/4, 2006.
– Cécile Pichon-Bonin, Peinture et politique en URSS : l’itinéraire des membres de la Société des artistes de chevalet (1917-1941), Dijon, Les Presses du réel, 2013.
– Travaux de Valérie Pozner sur le cinéma

Les conseils de lecture :

– Ilf et Petrov, Le veau d’or
– Gianni Haver, Jean-François Fayet, Valérie Gorin, Emilia Koustova (dir.), Le spectacle de la Révolution. La culture visuelle des commémorations d’Octobre, Lausanne, Antipodes, coll. « Univers visuels », 2017
– Sheila Fitzpatrick, Le stalinisme au quotidien. La Russie soviétique dans les années 30, Paris, Flammarion, 2002.

38. La signature des peintres au XVIIIe siècle, avec Charlotte Guichard

L’invitée : Charlotte Guichard, directrice de recherches au CNRS

Le livre : La griffe du peintre, Paris, Seuil, « Univers historique illustré », 2018.La discussion : le titre du livre, la « griffe » entre métaphore animale, geste auctorial, et dispositif technique (1:40) ; la signature médiévale ou renaissante comme marque de l’atelier (4:15) ; le monogramme de Dürer, affirmation de l’auteur mais pas encore autographe (5:45) ; les raisons qui font émerger la signature dans le tableau au XVIIIe siècle (6:55) ; les transformations du statut de « l’auteur » dans la période, et sa manifestation dans la signature (7:45) ; l’émergence d’un public qui sait regarder différemment les tableaux et leurs signatures (10:20) ; en retour, la complexité des choix d’emplacements pour les signatures, chez Chardin ou Boilly (11:50) ; les conditions nouvelles de la notoriété des peintres via les Salons notamment (13:05) ; le jeu de la singularité et de la répétition pour de mêmes tableaux (15:30) ; un jeu de répétitions et d’échos encore compliqué par la gravure (18:00) ; la peinture de Fragonard comme « performance » visible dans sa signature (20:10) ; la signature, “signe défaillant” et indice non fiable, suivant les analyses de Carlo Ginzburg (23:00) la nouveauté de la logique du nom au XVIIIe siècle, en l’absence de cartel ou de cartouche sur le cadre, et le contexte « démocratique » de la naissance du cartel au moment de la Révolution française (24:10) ; la « forme tableau » elle-même non encore stabilisée au XVIIIe siècle, qui n’est pas seulement une image, et dont il faut faire l’histoire (26:25) ; signer de son nom, une forme d’émancipation pour un artiste d’atelier, à travers l’affaire Casanova-Loutherbourg (29:45) et la signature de femmes pourtant mineures juridiquement comme Élisabeth Vigée-Lebrun (33:30), la signature monumentale et personnelle à la fois de David (36:15) ; les réorganisations révolutionnaires du rapport au nom et à la signature (39:40) ; plus largement la nécessité de faire dialoguer l’histoire de l’art avec une histoire matérielle et sociale de la culture, où les artistes contribuent à définir la valeur de leurs œuvres (43:20).

Les références citées dans le podcast :
Pierre Bourdieu, Yvette Delsaut, « Le couturier et sa griffe : contribution à une théorie de la magie », Actes de la Recherche en sciences sociales, n°1, janvier 1975
– Béatrice Fraenkel, La Signature. Genèse d’un signe, Paris, Gallimard, 1992.
– Carlo Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le débat (nov. 1980), p. 3-44.
– Pierre-Michel Menger, Portrait de l’artiste en travailleur, Paris, République des Idées & Seuil, 2003.
– Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Enrichissement : une critique de la marchandise, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2017.

Les conseils de lecture :
Svetlana Alpers, L’Art de dépeindre. La peinture hollandaise au XVIIᵉ siècle, Paris, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 1990
– Svetlana Alpers, L’atelier de Rembrandt. La liberté, la peinture et l’argent, Paris, Gallimard, 199
– Roger Chartier, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Seuil, 1987.
– Sophie Cras, L’économie à l’épreuve de l’art, Art et capitalisme dans les années 1960, Dijon, Presses du Réel, 2018.