43. L’internationalisme ouvrier au XIXe siècle, avec Nicolas Delalande

L’invité : Nicolas Delalande, professeur au Centre d’histoire de Sciences Po

Le livre : La Lutte et l’entraide. L’Âge des solidarités ouvrières, Paris, Seuil, « L’univers historique », 2019.La discussion : comment on passe d’une histoire de l’impôt, de l’État, à celle de l’internationalisme ouvrier (1’05) ; l’inscription dans l’histoire transnationale et dans celle de la première mondialisation du XIXe siècle, où le mouvement ouvrier est directement confronté à l’ouverture des échanges (3’02) ; la relecture d’une historiographie élaborée en partie dans les années 1960-1970 et marquée alors par des questionnements surtout idéologiques et politiques (5’05) ; une première internationale marquée par des solidarités de métier (7’00) ; le paradoxe central travaillé par le livre : comment s’organiser, sur le plan financier notamment, sans reproduire l’institutionnalisation du monde bourgeois ? (8’50) ; l’imprégnation paradoxale des syndicalistes anglais par la morale victorienne en matière de rapport à l’argent et de respectabilité (11’05) ; l’invention d’une solidarité ouvrière distincte de la charité ou de la philanthropie (13’20) ; le moment qui suit l’écrasement de la Commune comme mise à l’épreuve de ces pratiques (16’50) ; l’importance du crédit dans l’imaginaire et les pratiques socialistes de l’époque (18’10) ; l’extrême importance de la question migratoire dans la mise en place de l’internationalisme ouvrier, faisant écho aux débats actuels sur les « travailleurs détachés » ou le « dumping social » (22’20) ; la centralité de Londres, tant pour le capital que pour les militants ouvriers et révolutionnaires, et la fidélité des autorités britanniques au droit d’asile (27’07) ; les malentendus et les difficultés pratiques de l’internationalisme, face en particulier à la construction des États-nations (30’15) ; les débats sur la grève générale illustrant ces divergences (33’15) ; les mutations géographiques du second internationalisme des années 1880-1890, les États-Unis voire les colonies devenant des espaces à prendre en compte, compliquant le jeu des solidarités (37’30) ; dans quelle mesure les préoccupations contemporaines ont joué dans l’écriture du livre (42’55) ; l’adoption d’enfants comme pratique marquante de solidarité dès les années 1860-1870, réutilisée ensuite dans des contextes guerriers (travaux de Célia Keren sur la guerre d’Espagne) (45’15).

Le conseil de lecture : Mark Mazower, What You Did Not Tell: A Russian Past and the Journey Home, Londres, Allen Lane, 2017.

42. L’opposition aux vaccins (XVIIIe-XIXe s.), avec Laurent-Henri Vignaud

L’invité : Laurent-Henri Vignaud, Maître de conférences à l’université de Bourgogne Le livre : Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Tallandier, 2019.

La discussion : la défiance française envers les vaccins (1’) ; le contexte du XVIIIe siècle où la variole est d’une grande dangerosité (2’) ; les pratiques d’inoculation contre la variole, venues de l’empire ottoman (3’30) ; les craintes liées à une pratique contre-intuitive, consistant à introduire la maladie dans l’organisme pour s’en prémunir, à une époque où l’on ne connaît pas les micro-organismes (5’05) ; les raisonnements des mathématiciens des Lumières soutenant l’inoculation, et les dilemmes de la protection individuelle / collective (7’55) ; la pratique de l’inoculation en lien avec les statuts sociaux des médecins, chirurgiens, barbiers (10’15) ; l’intérêt des élites pour cette pratique, mais des expérimentations faites sur des populations reléguées et dominées comme les prisonniers (11’50) ; ainsi, l’inoculation presque systématique des esclaves (14’00) ; des interrogations redoublées par la vaccination mise au point par Jenner à la fin du XVIIIe siècle (15’15) ; les craintes de la « minotaurisation » et les premiers opposants aux vaccins (17’30) ; l’enrichissement de Jenner ou Pasteur comme objet de soupçon, thème structurant du discours anti-vaccinal (18’50) ; les questions d’identité nationale qui font parfois obstacle aux vaccins, à l’époque napoléonienne notamment (20’05) ; une hostilité à la vaccination qui relève plus largement d’une défiance envers l’État, dans les campagnes en particulier (21’25) ; la Grande-Bretagne comme lieu maximal des conflits autour de la vaccination, faisant éclore des débats sur l’habeas corpus et l’objection de conscience (22’45) ; des liens entre mouvements ouvriers et antivaccinisme (26’35) ; et même avec le féminisme (28’30) ; le nouveau contexte de la médecine pastorienne, qui suscite des résistances importantes, et les méthodes parfois peu avouables de Pasteur (30’20) ; l’accident vaccinal comme argument des opposants aux vaccins, et la naissance de l’idée de consentement des patients dans les années 1930 (33’50) ; les liens entre antivaccinisme et thérapies « alternatives », ainsi que la perméabilité partielle du nazisme à l’antivaccinisme (36’50) ; le moment de l’après-Grande Guerre comme apogée de l’obligation vaccinale, dans la sphère militaire mais aussi coloniale (38’45).

Les références citées :
Yves-Marie Bercé, Le Chaudron et la lancette : croyances populaires et médecine préventive, 1798-1830, Paris, Presses de la Renaissance, 1984.
– Grégoire Chamayou, Les corps vils. Expérimenter sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe siècles, La Découverte, coll. « Les empêcheurs de penser en rond », 2008.
– Pierre Darmon, La longue traque de la variole : les pionniers de la médecine préventive, Paris, Perrin, 1985.
– Catriona Seth, Les rois aussi en mouraient. Les Lumières en lutte contre la petite vérole, Paris, Éditions Desjonquères, coll. « L’esprit des lettres », 2008.“The cow-pock, or : The wonderful effects of the new inoculation”, caricature de James Gillray (1802)

Le conseil de lecture : Nadia Durbach, Bodily Matters: The Anti-Vaccination Movement in England, 1853-1907, Durham, Duke UP, 2005.

41. Raïssa Bloch, une médiéviste dans la tourmente du premier XXe siècle, avec Agnès Graceffa

L’invitée : Agnès Graceffa, historienne médiéviste (musée de la Résistance de Bruxelles)

Le livre : Une femme face à l’histoire. Raïssa Bloch, Saint-Pétersbourg-Auschwitz (1898-1943), Paris, Belin, 2016.

La discussion : les origines du travail et la collecte des archives privées concernant Raïssa Bloch (1’15) ; le parcours de Raïssa Bloch qui débute dans une famille de la bourgeoisie juive de Saint-Pétersbourg (4’30) ; la possibilité des études universitaires pour les femmes en Russie à l’époque (6’50) ; le foisonnement artistique des débuts de l’URSS auquel participe Raïssa Bloch (8’06) ; du fait notamment de ses capacités linguistiques (10’20) ; la confrontation avec l’arbitraire du pouvoir soviétique et son arrestation (11’25) ; un premier exil en Allemagne, où vit une énorme communauté russe émigrée (14’20) ; les relations de Raïssa Bloch avec Vladimir Nabokov / Sirine (16’25) ; son insertion dans la médiévistique allemande, via les Monumenta Germaniae Historica et la réalisation de sa thèse sur Léon IX (21’) ; un statut d’ « intellectuelle précaire », reléguée à des tâches d’érudition fastidieuse (23’15) ; l’aide en France de Ferdinand Lot et son rôle pour intégrer Raïssa Bloch, auprès des médiévistes français, à qui elle apporte sa connaissance de l’Allemagne (27’30) ; en Allemagne, la montée du nazisme et les difficultés qu’elle rencontre (32’45) ; une vie plus difficile encore en France occupée, face aux persécutions, avec l’arrestation de son mari (35’50) ; son passage dans la clandestinité, son action dans l’OSE auprès d’enfants, et sa propre arrestation (40’40) ; leur souvenir entretenu par leurs proches (43’15).

Le conseil de lecture : Jean-Michel Chaumont, Survivre à tout prix ? Essai sur l’honneur, la résistance et le salut de nos âmes, Paris, La Découverte, 2017.

36. Super-héros, une histoire politique, avec William Blanc

L’invité : William Blanc, historien

Le livre : Super-héros, une histoire politique, Montreuil, Libertalia, 2018La discussion : les origines de ce travail sur les super-héros (1’20), et le lien entre médiévalisme et super-héros via la table ronde notamment ; l’imaginaire du château lié aux villains que combattent les super-héros (3’45) ; la fluidité des supports (dessins, films, jeux) à prendre en compte (5’20) ; la naissance de super-héros et leurs créateurs souvent immigrés et progressistes (6’50) ; des premiers comics dotés d’une conscience sociale (8’) ; l’opposition entre les créations d’Edgar Rice Burroughs (Tarzan, John Carter) et les héros de comics comme Superman (9’) ; l’ambiguïté constitutive de ces personnages (11’05) ; Wonder Woman et son créateur original, féministe à son époque, William Marston (13’15) ; l’évolution du personnage et le tournant conservateur qui lui est imprimé (16’) ; la mobilisation antifasciste des super-héros dans la Seconde Guerre mondiale, dont Captain America créé par Jack Kirby, dans un contexte de présence nazie aux États-Unis (17’40) ; les restrictions apportées par la loi française de 1949 et le Comics code de 1954 (22’20) ; les transformations liées aux comics de Marvel dans les années 1960, autour de la présidence Kennedy (26’55) ; la naissance de Black Panther en lien avec le mouvement des droits civiques (30’20) ; les doutes des années 1970 liés à la guerre du Vietnam et au Watergate (35’50) ; le personnage du Punisher, reflet de ces évolutions et symbole du vétéran traumatisé comme d’un changement de rapport aux armes à feu (37’15) ; un désenchantement vis-à-vis de l’État aussi marqué durant la période (41’20) ; les usages récents du Punisher par des soldats ou des policiers (45’30); que se passera-t-il dans Avengers Endgame ? (48’10).

Les références citées dans le podcast :
Le podcast Villains de Shea Serrano.
– William Blanc, Le Roi arthur , un mythe contemporain de Chrétien de Troyes à Kaamelott en passant par les Monty Python, Montreuil, Libertalia, 2016.
– Jill Lepore, The Secret History of Wonder Woman, Random House, 2015.

34. Conseils de lectures et coups de cœur 2018

Les conseils de Dimitri Tilloi d’Ambrosi (histoire antique, à 55 secondes dans le podcast) :

  • Jean-Paul Demoule, Alain, Schnapp, Dominique Garcia, Une histoire des civilisations (La Découverte/INRAP)
  • Neil McGregor, Une histoire du monde en 100 objets (Les Belles Lettres)
  • Véronique Boudon-Millot, Au temps de Galien, catalogue de l’exposition du musée royal de Mariemont (éd. Somogy)
  • Catherine Virlouvet, Patrice Faure et Nicolas Tran, Rome, cité universelle, de César à Caracalla (Belin)

Les conseils de Raphaëlle Leyris (littérature, à 5 minutes 25) :

Les conseils d’Etienne Anheim (histoire médiévale, à 9 minutes 45) :

Les conseils de Caroline Callard (histoire moderne, dans un café hélas un peu bruyant, à 19 minutes 20) :

  • Sanjay Subrahmanyam, L’Inde sous les yeux de l’Europe (Alma)
  • Liesbeth Correns, Confessional Mobility and English Catholics in Counter-Reformation Europe (Oxford UP)
  • Charlotte Guichard, La griffe du peintre (Seuil / « Univers historique illustré »)
  • Timothy Tackett, Anatomie de la Terreur (Seuil)

Le conseil de Florent Georgesco (essais, à 33 minutes 50) :

  • Umberto Eco, Sur les épaules des géants (Grasset)

Les conseils de Delphine Diaz (histoire du XIXe siècle, à 39 minutes 30) :

  • Thomas Bouchet, De colère et d’ennui. Paris, chronique de 1832 (Anamosa)
  • Mathilde Rossigneux-Méheult, Vies d’hospice. Vieillir et mourir en institution au XIXe siècle (Champ vallon)
  • Michel Biard (et. al.), Déportation et exils des conventionnels (Société des études robespierristes)

Les conseils de Pierre Grosser (histoire du XXe siècle / histoire internationale, à 51 minutes) :

Les conseils d’André Loez (podcast « Paroles d’histoire »)

  • Claude Gauvard, Condamner à mort au Moyen âge (PUF)
  • Renaud Morieux, Une mer pour deux royaumes (Presses universitaires de Rennes)
  • Gisli Pàlsson, L’homme qui vola sa liberté (Gaïa éditions)
  • Sylvain Venayre et Pierre Singaravélou, Histoire du monde au XIXe siècle (Fayard)
  • Renaud Meltz, Pierre Laval (Perrin)

33. Naissance de l’imprimerie à Venise, avec Catherine Kikuchi

L’invitée : Catherine Kikuchi, maîtresse de conférences à l’université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines, contributrice du site Actuel Moyen âge

Le livre : La Venise des Livres, 1469-1530, Champ Vallon, 2018.

La discussion : une démarche de recherche qui part de la question des imprimeurs allemands à Venise (1’45) ; la diffusion de l’imprimerie de l’Allemagne rhénane vers Venise au XVe siècle, difficile à retracer (2’45) ; l’espionnage industriel d’un Nicolas Jenson (4’15) ; la nécessité de déconstruire la notion englobante d’« imprimeur » pour approcher ce groupe social et sa complexité (5’30), un métier qui à l’origine n’est pas dans le cadre d’une corporation, posant la question des possibles mobilités sociales (7’40), l’usage des sources et en particulier des colophons, ces marques distinctives à la fin des livres (9’10), la méthode prosopographique, le corpus, et les résultats de l’enquête sur le plan des origines : un monde du livre marqué par la présence d’étrangers (10’10), les enjeux identitaires du fait de se dire « Allemand » ou « Italien » dans le contexte de l’humanisme européen (11′), les liens entre imprimeurs allemands et marchands dans le cadre notamment du Fondaco dei Tedeschi (12’40), la « condition d’incertitude » (S. Cerruti) des étrangers à la fin du Moyen âge (14′), le lectorat de Venise et le marché du livre tel que les sources le dessinent (15’30), les ressemblances et différences avec les livres moins coûteux imprimés à Paris (16′), le livre comme objet de luxe, mais qui devient moins cher et plus accessible au cours de la période (17’25), les spécificités de l’imprimerie comme activité économique, et les gros investissements en capital que cela nécessite, ainsi que la fragilité qui en découle (19’05), les stratégies d’enracinement et de transmission familiales des entreprises (22’40), l’articulation entre tensions (voire violences) et solidarités au sein du groupe (24’15), ce que dit le monde du livre des pouvoirs vénitiens (26’50), les multiples langues et alphabets d’impression (grec, cyrillique, glagolitique…) et les situations que cela recouvre (29’30), les traces de ces imprimeurs dans la Venise d’aujourd’hui, leurs sépultures notamment (34′), les éclairages de l’histoire du livre sur les enjeux contemporains (36’30), la place de cette recherche : histoire moderne, médiévale, du « long Moyen âge » ? et pourquoi le terme de « Renaissance » n’y correspond pas ? (37’20)

Les références citées dans le podcast :
Claire Lemercier et Emmanuelle Picard, « Quelle approche prosopographique ? »
– Philippe Braunstein, Les Allemands à Venise (1380-1520), Rome, École française de Rome, 2016.
– Simona Cerruti, Étrangers. Étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime, Paris, Bayard, 2012
– Martin Lowry, Le monde d’Alde Manuce. Imprimeurs, hommes d’affaires et intellectuels dans la Venise de la renaissance, Évreux, Cercle de la Librairie, 1989.

Le conseil de lecture : Henri-Jean Martin et Lucien Febvre, L’apparition du livre, 1957

31. Ecclésiastiques en débauche à Paris au XVIIIe siècle, avec Myriam Deniel Ternant

L’invitée : Myriam Deniel Ternant, docteure en histoire, enseignante.

Le livre : Ecclésiastiques en débauche, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2017.

La discussion : les origines du travail, entre représentations littéraires de la sexualité des ecclésiastiques et curiosité pour les mutations religieuses du XVIIIe siècle (1’30), le thème de l’inconduite sexuelle du clergé, qui existe depuis le Moyen âge (5’50), la difficulté d’une mesure diachronique de la « débauche » ou de la « moralisation » du clergé (6’50), le travail mené sur les sources policières parisiennes, et leurs spécificités (8’25), des registres plus ou moins loquaces, au langage inégalement policé (9’20), Paris, observatoire des mœurs et lieu de convergence de clercs d’horizons variés (12’20), les normes de chasteté qui sont censées être observées par le clergé (14’50), une « chasse aux abbés » autour de 1750, aux causes multiples, discutées et compliquées dont le conflit autour du jansénisme (17’30), un arrière-plan troublé par l’attentat de Damiens en 1757 (20’30), le vocabulaire assez vague des rapports d’arrestation et la difficulté d’une étude sérielle (22’15), un corpus où clergé régulier et haut clergé restent peu visibles (23’30), une géographie de la prostitution centrée sur le Palais-Royal, et dont des ecclésiastiques s’échangent les adresses (24’35), un rapport particulier au corps et à la nudité (26’10), des pratiques sexuelles marquées par les attouchements, par la flagellation parfois (27’10), des rapports sexuels avec des prostituées qui alternent avec des pratiques de couple ou de concubinage (29’30), les réactions de la société à ce qui est perçu, parfois, comme déviance ou scandale, et les éléments déclencheurs d’éventuelles poursuites (31’30), les liens entre ces déviances du clergé et la thèse discutée d’une “déchristianisation” au XVIIIe siècle (36’45), la difficulté de mener de front une thèse et l’enseignement dans le secondaire (38′).

Sources et références mentionnées dans le podcast :
– Boyer d’Argens, Thérèse philosophe, in Patrick Wald Lasowski, Romanciers libertins du xviiie siècle, Paris, Gallimard, 2000 [1748].
– Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, Genève, Slatkine Reprints, 1979 [1782]
– Erica-Marie Benabou, La Prostitution et la police des mœurs au xviiie siècle, Paris, Perrin, 1987.
– Robert Muchembled, Les Ripoux des Lumières. Corruption policière et Révolution, Paris, Seuil, 2011.
– Clyde Plumauzille, Prostitution et révolution, Paris, Champ Vallon, 2016.

Les conseils de lecture :
Sylvie Steinberg (dir.), Une histoire des sexualités, Paris, PUF, 2018.
Katrina Kalda, Arithmétique des dieux, Paris, Gallimard, 2013.

 

27. Persécution et survie des juifs sous Vichy, avec Laurent Joly et Jacques Semelin

Les invités : Laurent Joly directeur de recherches au CNRS, Jacques Semelin, directeur de recherches émérite au CERI

Les livres :
– Laurent Joly, L’État contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite, Paris, Grasset, 2018.
– Jacques Semelin, La survie des juifs en France 1940-1944, Paris, CNRS éditions, 2018.

 

 

 

 

 

La discussion : la situation des deux ouvrages au regard de l’historiographie, et des travaux antérieurs, en particulier de Robert Paxton (2’10), la nécessité de réintroduire l’occupant allemand dans la lecture de la période, notamment pour le statut des juifs d’octobre 1940 (3’30), le rapport de Jacques Sémelin à Paxton mais aussi au livre de Renée Poznanski, pour poser la question des « 75% » de juifs de France n’ayant pas été déportés (4’40), l’importance de travailler sur l’opinion sous l’occupation (7’20), l’attention qu’il faut porter aux contextes changeants de l’occupation, suite aux changements de gouvernements ou d’institutions (7’50), l’attention à prêter également aux anticipations de l’avenir : l’Allemagne va-t-elle gagner la guerre ? (10’10), les enjeux de la géographie spécifique de l’occupation : flux humains liés à la débâcle, multiplicité des zones, dispersion géographique des juifs, trajets villes-campagnes… (11’15), les particularités géographiques, historiques, stratégiques de la France dans l’Europe hitlérienne, qui expliquent partie le chiffre de « 75% » (14’15), les paradoxes de la vie des juifs sous l’occupation, pour certains cachés et clandestins, pour d’autres vivant légalement voire scolarisés comme à Paris, pour beaucoup réfugiés à la campagne (17’20), posant la question de l’attitude des populations : silence passif, complice ? Quel degré d’antisémitisme ? (21’10) Et plus généralement quelles attitudes moyennes de part et d’autre des engagements résistants et collaborateurs explicites ? (22’00) la question de la délation comme point d’entrée pour poser ces questions (23’20), la rafle du Vel d’Hiv, perçue comme un échec par Vichy et les nazis (24’35), et que l’on peut relire en scrutant les marges de manœuvre des policiers qui la mènent et y participent (26’50), l’importance du carriérisme pour comprendre l’attitude nombre de fonctionnaires sous Vichy (29’50), une relecture du degré d’antisémitisme en France, à travers les basculements de l’opinion et d’une partie du clergé à l’été 1942 (30’30), l’importance de la xénophobie comme motif aux politiques de persécution (33’45), l’idée fausse selon laquelle Vichy n’aurait pas fait arrêter des juifs français, même si sa xénophobie a conduit à cibler d’abord les juifs étrangers (36’10), le contre-exemple du Danemark, où l’État comme la société civile ont été davantage protecteurs (41’50), le paradoxe d’une politique antisémite de Vichy définie et appliquée par des dirigeants et fonctionnaires non marqués par la tradition antisémite française d’extrême droite (43’40), la nécessité de porter un regard à la fois nuancé et sans concession sur Vichy (45’20), un contexte contemporain nouveau et délétère, entre rééditions de Maurras ou Céline et succès de Zemmour (47’45).

Les références citées dans le podcast (par ordre de parution) :
Robert Paxton, La France de Vichy, Paris, Seuil, 1973.
– Michael Marrus et Robert Paxton, Vichy et les juifs, Paris, Calmann-Lévy, 2015 (2e éd.) [1981].
– Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz. Le rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France, Paris, Fayard, 1983.
– Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, Paris, Fayard, 1988.
– Asher Cohen, Persécutions et sauvetages. Juifs et Français sous l’Occupation et sous Vichy, Paris, Cerf, 1993.
– Pierre Laborie, « 1942 et le sort des Juifs : quel tournant dans l’opinion ? », Annales ESC, 1993, 48-3, p. 655-666.
– Renée Poznanski, Être juif en France pendant la Seconde guerre mondiale, Paris, Hachette, 1994.
– Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français ou l’envers de la Collaboration, Paris, Fayard, 2001.
– Tal Bruttmann, Au bureau des Affaires juives. L’administration française et l’application de la législation antisémite (1940-1944), Paris, La découverte, 2006.
– Nicolas Mariot et Claire Zalc, Face à la persécution. 991 juifs dans la guerre, Paris, Odile Jacob, 2010
– Gael Eismann, Hôtel Majestic. Ordre et sécurité en France occupée, 1940-1944, Paris, Tallandier, 2010.
– Laurent Joly, Dénoncer les juifs sous l’Occupation. Paris 1940-1944, Paris, CNRS éditions, 2017.

Les conseils de lecture :
– Hélène Hoppenot, Journal (1936-1940), Paris, éditions Claire Paulhan, 2015.
– Jacques Sémelin : Françoise Fraenkel, Rien où poser sa tête, Paris, Gallimard, 2015.

25. Soldats indiens de la Grande Guerre, avec Claude Markovits

L’invité : Claude Markovits, directeur de recherche émérite au CNRS

Le livre : De l’Indus à la Somme. Les Indiens en France pendant la Grande Guerre, Paris, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2018.
La discussion : les origines de l’armée recrutée aux Indes britanniques, ses missions avant la Grande Guerre, son recrutement en fonction des « races martiales » (0’45) ; l’envoi d’une partie de ces troupes sur le front ouest lorsque débute la Première Guerre mondiale, en lien avec les pertes du corps expéditionnaire britannique (3’30) ; le nombre d’hommes envoyés et le rythme de leur arrivée (5’30) ; le déficit historiographique sur cette question (6’20) ; les réactions de l’Allemagne à cet emploi de troupes coloniales, condamnant un usage « non civilisé » de la guerre (7’45) ; la source de l’étude : le contrôle postal, et ses spécificités pour ces troupes qui n’écrivent pas en anglais (8’45) ; les peurs des dirigeants britanniques quant à la subversion pouvant viser ces troupes, par des révolutionnaires indiens ou sous l’effet de l’appel au « Jihad » des Ottomans (9’35) ; la création précoce d’un bureau de censure pour les soldats indiens (11’20) ; un autre filtre de la source : les scribes qui ont rédigé les courriers de soldats très majoritairement illettrés (11’55) ; le groupe des censeurs et traducteurs (14’25) ; le choc et la sidération des soldats indiens devant une guerre d’un type nouveau, et les raisons de leur ténacité, dont le sens de l’honneur (16’15) ; la rencontre entre Indiens et Français, et pour ces derniers un rendez-vous manqué (19’45) ; un recours à l’exotisme dans la presse française (22’20) ; à l’inverse, un « occidentalisme » dans les lettres des soldats confrontés à l’occident, en débutant par l’analyse intellectuelle de cette catégorie (en partie symétrique de l’« orientalisme ») (23’10) ; les aspects valorisés du séjour en France de ces soldats, liés principalement à la place des femmes dans la société, qui les stupéfie (25’50) ; des épisodes de rencontres sexuelles ou amoureuses (28’45) ; des aspects dévalorisés ou rejetés, en lien avec les questions religieuses notamment (32’30) ; la postérité modeste de cette expérience (34’40), et ses mises en mémoire différenciées en Inde et au Pakistan (36’00).

Le conseil de lecture : Mulk Raj Anand, Across the Black Waters

24. Indo-européens et archéologie, avec Jean-Paul Demoule

(voir le premier volet de la discussion)

L’invité : Jean-Paul Demoule, professeur émérite de protohistoire européenne à l’Université de Paris I-Panthéon Sorbonne.

Les livres :
Mais où sont passés les Indo-européens ? Le mythe d’origine de l’occident, Paris, Seuil, 2014
L’archéologie, une histoire des civilisations (dir., avec Alain Schnapp et Dominique Garcia), Paris, La découverte / Inrap, 2018
La discussion : une vocation et un parcours d’archéologue (0’35) la naissance de l’INRAP et les nouvelles techniques de fouille avec pelles mécaniques (4’30), le livre sur les Indo-européens et ses origines (6’40), les errements de la discipline archéologique à l’époque de Gustav Kossina (12’10), les vives discussions suscitées par le livre notamment chez les linguistes, et l’état des débats (14’45), un état des connaissances archéologiques dans le livre Une histoire des civilisations (19’30), une prise en compte de différentes aires de civilisation (21’05), l’intégration de renouvellements récents, quant aux origines (et à la variété) de l’espèce humaine (22’30), ce qu’il faut faire pour devenir archéologue (25’00).

Le conseil de lecture : James C. Scott, Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, Paris, Seuil, 2013 ; Against the grain. A deep history of the earliest states, Yale University Press, 2017.