37. Revoir Le Dernier métro, avec Alya Aglan

L’invitée : Alya Aglan, professeure à l’université Paris-I

Le film : Le dernier métro, de François Truffaut (1980)

La discussion : résumé du film ; la réception du film : succès public et professionnel, mais une relative tiédeur critique ; un film plus personnel qu’il n’y paraît au premier abord ; un tournage à charnière de plusieurs séquences mémorielles : mode rétro et « retour du refoulé » de Vichy et en particulier des persécutions contre les juifs ; les sources et références du film de Truffaut ; les thèmes du film (secret, claustration, compromis des personnages) ; la situation historique du film censé se dérouler en septembre 1942 ; les types incarnés par les différents personnages, dont la figure du critique de théâtre collaborationniste et antisémite Daxiat ; le tournant de novembre 1942 (invasion de la zone libre) mis en scène dans le film ; les éléments matériels de la vie sous l’occupation (pénurie, marché noir…) ; la mise en scène du collaborationnisme à travers Je suis partout ; l’intensité de la vie culturelle sous l’occupation ; le personnage joué par Richard Bohringer et sa présence dans la scène de traque des résistants ; l’omniprésence des discours antisémites dans le film et les questions d’identité mises en scène dans le film ; la difficulté des choix personnels et des compromis durant la période.

Les références citées dans le podcast :
– Pièces, films, émissions

Ernst Lubitsch, To be or not to be (1942)
Jean Renoir, This land is mine (1943)
Jean Renoir, Carola et les cabotins (1957)
Marcel Ophuls, Le chagrin et la pitié (1971)
Jean-Pierre Melville, L’armée des ombres (19969)

Livres (par ordre chronologique) :
Sacha Guitry, Quatre ans d’occupations, Paris, L’Elan, 1947.
René Rémond (dir.), Le gouvernement de Vichy, Paris, Presses de la FNSP, 1972.
Robert Paxton, La France de Vichy, Paris, Seuil, 1973.
Henry Rousso, Le syndrome de Vichy, Paris, Seuil, 1987.
Antoine De Baecque et Serge Toubiana, François Truffaut, Paris, Gallimard, 1996.
Jean-Michel Frodon, « Le Dernier métro : an Underground Golden Coach », in Dudley Andrew, Anne Gillain, A companion to François Truffaut, Oxford, Wiley-Blackwell, 2013
Laurent Joly, Dénoncer les juifs sous l’occupation, Paris, CNRS éditions, 2017.
Jacques Semelin, La survie des juifs en France 1940-1944, Paris, CNRS éditions, 2018.

 

 

35. Contraception interdite dans la France des années 1950, avec Danièle Voldman et Annette Wieviorka

Les invitées : Danièle Voldman et Annette Wieviorka, directrices de recherche au CNRS

Le livre : Tristes grossesses. L’affaire des époux Bac (1953-1956), Paris, Seuil, 2019.

La discussion : présentation rapide de l’affaire des époux Bac (1:00) et des origines de cette recherche ; le contexte des années 1950 et d’un drame familial lié à une forme de misère sociale (6:10) ; un « drame du Baby-Boom » (Annette Wieviorka) ; retour sur la loi de 1920 qui interdisait la contraception et sa « propagande » et renforce la répression de l’avortement (11:55) ; les failles des pratiques contraceptives à l’époque (14:05) ; les avancées d’autres pays en la matière, et le parcours de la gynécologue Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé (16:00) ;  des procès qui révèlent une justice plutôt équilibrée, et soucieuse de ne pas dédouaner le mari de ses responsabilités (18:45) ; le parcours carcéral des époux (21:25) ; un arrière-plan à l’affaire : le catholicisme encore enraciné dans la France des années 1950 (23:05) ; la convergence conservatrice en matière de contraception du monde médical, de l’Église catholique, mais aussi du parti communiste (25:50) ; le rôle du journaliste Jacques Derogy au sein du petit cercle qui commence à militer en faveur de la contraception, et à porter l’affaire sur la place publique dans les pages de Libération en 1955 (28:15) ; la naissance de l’association Maternité heureuse dans la foulée (31:00) ; les ressemblances et différences entre les contextes de cette affaire et de la loi Veil sur l’IVG en 1975 (34:15) ; le parcours de l’enquête et les difficultés liées aux sources parfois introuvables et aux dérogations pour consulter les archives (37:00) ; la dimension personnelle du travail et le fait d’avoir en partie vécu à la même période que cette affaire (42:55) ; l’écho du  film d’Henri Verneuil avec cette enquête (45:15).

Le conseil de film : Des gens sans importance d’Henri Verneuil (1956)

 

 

26. Alésia, de la controverse à la preuve, avec Vivien Barrière et Clément Salviani

Les invités : Vivien Barrière, maître de conférences en histoire et archéologie à l’Université de Cergy-Pontoise ; Clément Salviani, doctorant contractuel chargé de recherches à l’INHA

L’enjeu : opposant les troupes de Vercingétorix et de César, le siège d’Alésia en 52 avant notre ère est bien connu, l’histoire et l’archéologie ayant permis de le localiser précisément, à Alise Sainte-Reine (actuel département de la Côte-d’Or). Pourtant, des gens s’obstinent à soutenir des alter-Alesiae en d’autres lieux comme le Jura au mépris d’un consensus scientifique parfaitement établi. Cela pose la question plus large de la vérité en histoire.
La discussion : le contexte entourant la bataille et le siège d’Alésia, au sein de la guerre des Gaules racontée par César (1’50) ; l’engouement pour les Gaulois dans la France du XIX siècle dans un contexte d’intense intérêt pour le passé lié à la construction des États-nations (4’40) ; les premières fouilles sur le site d’Alésia (actuellement Alise-Sainte-Reine) sous le Second Empire avec une implication directe de Napoléon III (7’55) ; les techniques de fouille hier et aujourd’hui (10’35) ; les premières controverses sur la localisation d’Alésia, et la difficulté plus générale de localiser des sites mentionnés par des auteurs de l’antiquité (11’45) ; le parcours d’André Berthier, le personnage singulier qui fut le principal tenant d’une Alésia située dans le Jura (15’05) ; l’idée selon laquelle le site (réel) d’Alise serait indigne d’un personnage de Vercingétorix (19’20) ; l’erreur de lecture du texte de César sur lequel repose l’erreur de localisation (20’00) ; les caractéristiques du site alternatif de Chaux-des-Crotenay dans le Jura, et la définition d’un oppidum (21’25) ; la stratégie de Vercingétorix à replacer dans les conditions du monde gaulois du premier siècle avant notre ère, et de l’opposition formidable donnée par César (27’00) ; les renouvellements apportés par les fouilles menées dans les années 1990 sur le site d’Alise Sainte-Reine (30’10) ; un récapitulatif de tous les éléments (textes, armes, monnaies, vestiges, inscriptions…) attestant la localisation d’Alésia et ne faisant sens que dans ce cadre (31’55) ; les erreurs des défenseurs d’une autre Alésia, venant d’un rapport à la fois littéral et hyper-critique aux textes antiques (35’40) ; l’économie du texte de César, qui n’écrit pas un guide topographique d’Alésia mais construit un récit à destination de l’aristocratie romaine (39’10) ; le refus pour certain-e-s d’admettre le consensus scientifique sur Alésia, et le rapport compliqué à la vérité que cela révèle, proche du complotisme (43’20) ; Wikipedia comme lieu où cette question est discutée (46’50) ; la différence entre critique des sources et hypercritique infondée (51’40) ; si une autre Alésia existait, on l’aurait trouvée (53’30) ; le paradoxe qui veut qu’autant de lieux revendiquent d’être le site d’une défaite (55’15).

Les conseils de lecture et références pour aller plus loin :

Manifeste des archéologues contre les confusions sur la localisation d’Alésia (2016)
–  Jean-Louis Brunaux, Nos ancêtres les Gaulois, Paris, Seuil, “Points”, 2015.
– Christian Goudineau, Le dossier Vercingétorix, Paris, Actes Sud – Errance, 2001.
– Michel Reddé, Alésia. L’archéologie face à l’imaginaire, Paris, Errance, 2e éd., 2012.

22. Histoire populaire de la France, avec Gérard Noiriel

Les intervenants : Gérard Noiriel, directeur d’études à l’EHESS ; Philippe Olivera, historien, enseignant, éditeur (Agone)

Le livre : Une histoire populaire de la France, de Jeanne d’Arc à nos jours, Marseille, Agone, 2018
La discussion : Les origines du livre, au regard du genre « histoire de France » et de l’ouvrage d’Howard Zinn, Histoire populaire des États-Unis (1’00) ; le « populaire » comme catégorie prise dans les relations entre dominés et dominants (5’20) ; l’idée d’écrire pour un public plus large que celui de la profession historienne (7’00) ; l’importance de s’approprier des objets comme l’histoire de France parfois monopolisés par des auteurs réactionnaires (11’20) ; le point de départ de cette histoire et le choix de démarrer à la fin du Moyen âge, en lien avec la construction d’un État monarchique (12’45) ; les singularités de la construction nationale française au regard des exemples britannique et allemand (15’50) ; le choix d’écrire une histoire sociale, et de faire de la question sociale la clef de lecture fondamentale des évolutions, par rapport aux questions identitaires (19’30) ; l’application de cet angle d’approche pour le XVIe siècle : les guerres de religion comme expression d’enjeux sociaux (26’25) ; les césures mises en lumière dans cette histoire de France (30’20) : les années 1750 (32’30), les années 1880 avec la Grande Dépression et les débuts de la IIIe République (34’25), l’attention portée dans le livre aux regards portés sur l’autre (colonisé, domestique, ouvrier, paysan…) et la question de la reconnaissance de l’autre, qui permet de « se rendre étranger à soi-même » (39’50), la capacité à toucher d’autres publics en sortant de ses habitudes historiennes, en travaillant avec des artistes (43’50).

Une évocation plus large du travail de Gérard Noiriel, par Nicolas Offenstadt, est à écouter dans l’épisode 11 du podcast.

8. Images, usages et mésusages d’Alexandre le grand, avec Pierre Briant

Cliquer ici pour accéder au premier volet de l’entretien.

L’invité : Pierre Briant, professeur émérite au Collège de France (chaire d’Histoire et civilisation du monde achéménide et de l’empire d’Alexandre)

Les livres :
Histoire de l’empire perse, Paris, Fayard, 1996.
Darius dans l’ombre d’Alexandre, Paris, Fayard, 2003.
Lettre ouverte à Alexandre le grand, Arles, Actes sud, 2008.
Alexandre des Lumières, Paris, Gallimard, NRF essais, 2012.
Alexandre. Exégèse des lieux communs, Paris, Gallimard, « Folio histoire », 2016.

La discussion : comment les Perses se sont appropriés et ont réinventé Alexandre / Iskender sous un double visage, via le Roman d’Alexandre (1’), comment, à l’inverse, il a été utilisé par les Byzantins et comme précurseur des croisades (7’20), Alexandre mobilisé dans la querelle politique contemporaine entre Grèce et « Macédoine », Athènes et Skopje, et les origines du conflit (10’10), les jugements des dirigeants et historiens nazis sur le conquérant et sa politique (17’40), Alexandre héros colonisateur et civilisateur dans l’historiographie française et britannique au début du XXe siècle selon un modèle légué par Plutarque (20’55), l’importance de Johann Gustav Droysen (1808-1884) pour l’historiographie d’Alexandre (25’15), Alexandre dépeint du côté des colonisés, et afin de s’émanciper, dans l’Inde britannique (28’), le film d’Oliver Stone, Alexandre (2004), et ses angles morts (32’), quels choix documentaires les enseignants peuvent faire pour enseigner l’histoire d’Alexandre et de l’empire perse (36’50).

Les références citées dans le podcast :
Johann Chapoutot, Le nazisme et l’antiquité, Paris, PUF, « Quadrige », 2012.
P. Briant, « Alexandre et les « Katarraktes » du Tigre », Pallas. Revue d’études antiques, Année 1986
P. Briant, « Impérialisme antique et idéologie coloniale dans la France contemporaine : Alexandre modèle colonial », Dialogues d’histoire ancienne, 5 (1979), p. 283-29
J. G. Droysen, Geschichte Alexanders des Großen, Hambourg, Perthes, 1833.

Films cités dans le podcast:
Le film Sikandar de Sorhab Modi (1941)
L’entrée d’Alexandre à Babylone dans le film d’Oliver Stone (2004) ; regard critique par P. Briant sur le film

Les documents cités dans le podcast :
Plutarque, De fortuna alexandri (IIe s. ap. J-C)
Le « sarcophage d’Alexandre » au Musée d’Istanbul
Tablette astronomique babylonienne (extrait des p. 166-167 de P. Briant, Alexandre, de la Grèce à l’Inde, Gallimard, “Découvertes”, 2004) :

7. Darius, Alexandre le grand et l’empire perse avec Pierre Briant

Cliquer ici pour accéder au second volet de l’entretien.

L’invité : Pierre Briant, professeur émérite au Collège de France (chaire d’Histoire et civilisation du monde achéménide et de l’empire d’Alexandre)

Les livres :
Histoire de l’empire perse, Paris, Fayard, 1996.
Darius dans l’ombre d’Alexandre, Paris, Fayard, 2003.
Lettre ouverte à Alexandre le grand, Arles, Actes sud, 2008.
Alexandre des Lumières, Paris, Gallimard, NRF essais, 2012.
Alexandre. Exégèse des lieux communs, Paris, Gallimard, « Folio histoire », 2016.
La discussion : la volonté d’écrire une histoire « à parts égales » d’Alexandre et de l’empire perse ne s’appuyant pas seulement sur les sources narratives grecques (2’20), ses difficultés documentaires et les incertitudes sur les tombeaux de Darius III et d’Alexandre (7’05), les archives en grande partie manquantes du conquérant (9’30), l’usage des sources numismatiques et la question de la « monétarisation de l’Orient » sous Alexandre (12’25), le projet de conquête d’Alexandre, plus ample et plus cohérent qu’on ne le dit parfois, en raison de liens anciens entre monde grec et perse (14’35), les interprètes et les questions linguistiques dans les empires de Darius et d’Alexandre (19’45), les stéréotypes liant un effondrement de l’empire achéménide à l’image de Darius III couard ou fuyard, et les véritables raisons de la victoire macédonienne (22’45), la politique « iranienne » d’Alexandre et l’incendie de Persépolis (28’35), les questions posées par l’absence d’héritier légitime à la mort d’Alexandre (33’35), son rapport aux dieux à sa propre divinisation (35’50).

Les références citées dans le podcast :
P. Briant, « Impérialisme antique et idéologie coloniale dans la France contemporaine : Alexandre modèle colonial », Dialogues d’histoire ancienne, 5 (1979), p. 283-292